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Sur le papier, ça en jette : traverser les Alpes en gravel, de Chamonix jusqu’à Milan. C’était sans compter sur une météo capricieuse et un dénivelé particulièrement cassant nous obligeant à passer une bonne partie du trajet... à pied. L’occasion, pour nous, de découvrir une nouvelle discipline : le Hike-A-Biking, ou l’art de porter son vélo sur le dos.
Une aventure rendue possible grâce à BUFF, partenaire de ce récit, et à retrouver dans notre quatorzième volume papier, Paradoxes
Chamonix, 7 h 30. « À quelle heure est-ce qu’il doit s’arrêter de pleuvoir, déjà ? » Allongés sur les lits étroits de notre petite chambre d’hôtel, on se regarde en soupirant. Il pleut depuis des heures. C’est un problème. Non seulement parce qu’on n’aime pas être mouillés, mais surtout parce que cette première étape était censée être la plus difficile de ces cinq jours de vélo jusqu’à Milan. Pourquoi Milan ? Juste comme ça. Parce que ça sonnait bien. Chamonix à Milan en gravel, on ne l’a jamais fait, on ne connaît personne qui l’a fait. À dire vrai, on ne sait même pas si c’est faisable, et c’est peut-être ça qui nous attire.
Que ce soit en rando ou à vélo, le premier jour d’une itinérance est crucial. C’est le moment où l’on sait si le reste de l’aventure se passera plus ou moins bien, si l’on a pris assez de ceci ou trop de cela. Pour Damien, c’est aussi l’occasion de renoncer à ses tongs qui tombent du vélo dès la première descente. Notre équipe est aussi belle que les premiers paysages traversés. Il y a Gaby, d’abord. Quatre années en équipe d’Angleterre de cyclisme. Elle a la délicatesse de se mettre à notre rythme, mais on comprend assez vite qu’elle pourrait avaler deux fois ce qu’on parcourt en une journée. Il y a Sami, ensuite. La professionnelle du gravel, au goût prononcé pour les sentiers escarpés. Elle revient d’Islande où elle a participé à The Rift, une course de 200 kilomètres dans les champs de lave. Et puis il y a Damien et moi. Notre palmarès n’est peut-être pas aussi impressionnant, mais on aime le vélo et, surtout, on est au taquet. C’est tout ce qui compte, pas vrai ?
De la motivation, il va nous en falloir. La première étape doit nous mener de Chamonix aux Chapieux avec, entre les deux, de jolies montées dont le col du Joly et le Cormet de Roselend. Soit 2700 mètres de dénivelé. Ambitieux, certes, mais pas impossible. C’est du moins ce qu’on se dit jusqu’aux Contamines-Montjoie. Ça commence à grimper dur, très dur. On appuie sur les pédales, on serre les dents. Et puis, tant pis. On descend de la selle, et on pousse les vélos.
Non sans découvrir le plaisir de marcher avec des chaussures à cales pour pédales automatiques. Disons que ce n’est pas fait pour ça et que les tongs de Damien auraient presque été plus adaptées. Les heures défilent et le soleil passe derrière les sommets. Le froid, mais aussi la faim et la fatigue arrivent. On enchaîne les derniers virages avant l’auberge de la Nova en grelottant, les yeux plissés et les cache-cols remontés sur le nez. La propriétaire nous accueille à bras ouverts : « Vous rangerez vos affaires plus tard, venez à table, vous devez avoir faim ! » On ne se fait pas prier. Viande en sauce, pommes de terre à tomber par terre, et bière fraîche. De quoi nous faire oublier les heures passées à pousser nos vélos. Alors qu’on lui raconte notre journée, la patronne nous lance, en rigolant: « C’est du vélo, ou de la rando ? »
On repart au petit matin en toute confiance : le matériel tient la route, les jambes aussi, et l’étape la plus dure est théoriquement derrière nous. On n’a pas encore relié Chamonix à Milan en gravel, mais on y travaille.
On remonte tranquillement la magnifique vallée des Glaciers, avant de s’attaquer au col de la Seigne qui sépare la France de l’Italie. À 2 516 mètres d’altitude, c’est un passage redouté sur le parcours de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. En préparant l’itinéraire, on s’est dit que même à pied ça devait être assez sportif, on s’attend donc à devoir pousser les montures « sur quelques portions ». On s’est peut-être emballés, portés par l’idée de pédaler dans les traces de cette course mythique. « Mais si, ça va passer. »
Résultat : 700 mètres de dénivelé positif passés avec les vélos sur le dos. Au début, on en rigole. On se prend même en photo. Devoir porter son vélo, c’est quand même cocasse. Mais quand ça s’éternise, que le sentier se fait de plus en plus escarpé et que l’altitude s’en mêle, les blagues s’arrêtent et les visages se ferment. Gaby et Sami, elles, sont loin devant, leurs montures délicatement posées sur les épaules. Elles ont l’habitude et la gentillesse de nous attendre.
Plus tard, elles nous expliquent que porter son vélo est tout un art et porte même un nom : le « Hike-A-Biking ». La technique est bien connue des vététistes, qui grimpent en haut des sommets pour pouvoir ensuite les dévaler. Il suffit d’être méthodique :
Et ça repart ! Bien sûr, les sacoches pleines rendent la manœuvre un peu plus difficile. Les casques, aussi. Note pour plus tard : penser à lever le vélo suffisamment haut pour le passer au-dessus de la tête sans s’assommer au passage. Des randonneurs nous regardent passer d’un œil perplexe. « Qu’est-ce que vous faites ici ? » Nous ? Rien, on va juste de Chamonix à Milan en gravel... enfin on croit.
On remonte en selle sur les cent derniers mètres, pour la forme. Au sommet, un panneau marque la frontière franco-italienne. Voilà une belle étape de franchie, la plus dure de la journée. La descente qui s'annonce et la perspective d’une assiette de pasta al pesto nous redonnent de l’énergie.
Après un déjeuner au refuge Elisabetta Soldini Montanaro, on reprend la route jusqu’à Courmayeur pour une portion bien plus tranquille et roulante que ce matin. Mais les nuages arrivent, suivis de la pluie. Pris au dépourvu, on raccourcit l’étape pour s’arrêter dans un agriturismo – gîte à la ferme – perché dans les vignes avec une vue imprenable sur la vallée d’Aoste. Les imprévus ont parfois du bon.
Au réveil, Damien nous annonce la couleur. « On n’en a pas fini. » Plus de 2 000 mètres de dénivelé positif pour 45 kilomètres. Ça va chauffer, mais avec une bonne partie sur l’asphalte pour débuter, on part confiants.
Pause café, pâtisserie et gelato à Cogne, au pied du Grand Paradis. On fait le plein de carburant, les difficultés commencent dès la sortie de la ville avec une petite route sinueuse bien pentue. C’est dur mais c’est beau. On quitte la vallée pour s’enfoncer dans la forêt. L’altitude augmente peu à peu, on s’arrête régulièrement pour reprendre notre souffle et profiter du panorama.
Deux bonnes heures plus tard, notre référent GPS est formel : « Plus que cinq kilomètres et 250 mètres de D+ ! » Super, sauf qu’il est désormais impossible de rouler. Le sentier de randonnée, où ce qui y ressemble, est jonché de rochers avec des passages à plus de 20 %. L’ascension du dernier col se fait carrément dans un pierrier. La fatigue aidant, on en rit aux larmes. « Ça, c’est un bon itinéraire à recommander à son pire ennemi. »
Au sommet, on rencontre un traileur allemand qui fait l’aller-retour depuis le refuge Miserin, notre objectif. Il sera notre guide entre les blocs de pierre. La descente est délicate, mais la fin approche. Arrivés au bord du lac, l’ambiance est lunaire. On espérait bivouaquer, mais la pluie s’installe pour de bon. La chaleur du refuge, la polenta maison et la tireuse à bière devraient pouvoir nous consoler. Une chose est certaine, on se souviendra de ce Chamonix à Milan en gravel.
Aujourd’hui, 3 500 mètres de dénivelé négatif nous attendent. En d’autres termes, de la descente, beaucoup de descente. Sur un sentier, d’abord, sur la route ensuite. On est ravis. Les jambes nous font souffrir et, à force de porter nos vélos, le dos aussi. On enchaîne les virages en position aérodynamique et on avale les kilomètres en se mettant en « formation » pour éviter la prise de vent. Une sensation de vitesse qui nous semble d’autant plus agréable après ces trois derniers jours de montée.
On traverse ainsi toute la vallée d’Aoste pour quitter les hauteurs des Alpes, à regret, sous une chaleur écrasante. Le cache-col noué autour du poignet se transforme en serviette-éponge. Et ce qui devait arriver arriva. À dix kilomètres de notre point de chute, un orage éclate et la pluie s’abat. Alors que l’on se réfugie sous un porche, un couple de retraités passe la tête par la fenêtre pour nous proposer un verre d’eau. Ils nous rejoignent finalement avec une bouteille de grappa ! On trinque à la quasi-fin de ce Chamonix à Milan en gravel.
La pluie n’a pas cessé depuis hier soir et des inondations font rage dans tout le nord de l’Italie. On va devoir raccourcir le périple. Ciao les grands lacs, ce sera pour une prochaine fois. On passe tout de même jeter un coup œil au lac Majeur, avant de repartir plein sud, direction Milan, par les canaux.
Les kilomètres défilent mais, une fois n’est pas coutume, des trombes d’eau nous arrêtent à cinq kilomètres du centre-ville. Il nous faut patienter une bonne demi-heure dans l’entrée d’un centre commercial. L’occasion pour Damien de racheter les tongs perdues le premier jour. Vu la météo, elles lui seront aussi utiles qu’un gravel pour monter au col de la Seigne. On se marre en refaisant le fil de notre « aventure à vélo ». La prochaine fois, on emportera aussi les chaussures de rando.
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